La France à nouveau condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour mauvais traitements en raison de violences policières
(CEDH, 5ème section, 16 novembre 2017, n° 30059/15, Boukrourou et autres c/ France – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 30059/15″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-178690 »]} )
Aux termes de l’arrêt précité, la Cour a – de nouveau ! – condamné la France pour non-respect de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, lequel dispose que « Nul ne peut être soumis à la torture et peines ou traitements inhumains ou dégradants », suite à des violences policières commises au cours d’une interpellation. Retour sur une jurisprudence devenue malheureusement trop courante.
Les circonstances de l’affaire
Le 12 novembre 2009, un ressortissant français (Mr Mohamed Boukrourou) atteint de troubles psychiatriques s’était rendu dans sa pharmacie habituelle pour tenter d’obtenir des médicaments, lesquels lui ont été refusés. Le malade a alors haussé le ton tout en refusant de quitter l’établissement.
C’est dans ce contexte qu’il a été fait appel aux forces de l’ordre. Les policiers, ne parvenant pas à maîtriser l’individu pour le faire sortir, ont tenté de le menotter. Un policier lui a alors porté deux coups de poing au plexus. Difficilement menotté, les policiers finirent par réussir à faire monter l’individu dans le camion, où ce dernier a continué à se débattre avant de finalement chuter à plat ventre. Trois policiers se sont alors placés en position assise ou debout sur son corps.
L’homme est décédé peu de temps après dans le camion. Le médecin légiste conclut à une défaillance cardiaque favorisée par un état de stress et d’agitation.
La procédure judiciaire
En 2013, le juge d’instruction qui avait mis en examen les policiers concernés pour homicide involontaire décida d’un non-lieu. Sa décision fut confirmée une première fois par la Chambre de l’instruction puis une seconde fois par la Cour de cassation, lesquelles considérèrent que la force utilisée par les policiers était nécessaire et proportionnée pour parvenir à maîtriser l’individu.
C’est dans ce contexte, après épuisement des voies de recours des instances françaises, que six membres de la famille du défunt (frères, sœur, veuve, père et mère) saisirent la CEDH, conformément au principe de l’épuisement des voies de recours internes, condition de validité de la saisine de la Cour prévue par l’article 35 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Par cet arrêt, la CEDH a décidé de « déjuger » les trois juridictions françaises, considérant que si les fonctionnaires de police n’avaient pas eu recours à une force en soi fatale, les coups « violents, répétés et inefficaces » portés par les policiers « sur une personne vulnérable » avaient en réalité eu pour effet d’amplifier son agitation, sa résistance, renforçant son sentiment d’exaspération et d’incompréhension dans le déroulement des faits et étaient constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine incompatibles avec l’article 3 de la Convention (§87), lequel consacre, rappelle la Cour, « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (§54). La Cour accorda 30.000,00 € aux membres de la famille à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et 18.576,00 € pour les frais de procédure engagés.
Les précédents – les arrêts Tomasi c/ France et Selmouni c/ France
(https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 12850/87″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-62353 »]} –https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 25803/94″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-62842 »]})
Cet arrêt n’est malheureusement pas isolé en la matière. En effet, la France n’en est pas à sa première condamnation par la CEDH sur le fondement de l’article 3 pour des violences policières commises au cours d’une interpellation ou d’une garde-à-vue.
L’arrêt est à rapprocher des « célèbres » arrêts « Tomasi c/ France » (CEDH, 27 août 1992, n° 12850/87) et « Selmouni c/ France » (CEDH, 28 juillet 1999, n° 25803/94).
Dans le premier arrêt précité, Mr Tomasi, un nationaliste corse, avait dénoncé des tabassages durant sa garde-à-vue.
Dans le second, la France a été condamné pour torture, que la Cour définit comme « une forme particulière de traitements inhumains délibérés provoquant de forts graves et cruelles souffrances (§96) – définition issue de l’article 1er de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.
Mr SELMOUNI avait subi de la part des policiers, au cours de sa garde-à-vue, des coups et tirages de cheveux ; des menaces au chalumeau et à la seringue. Il avait été contraint de courir dans un couloir dans lequel les policiers s’amusaient à le faire trébucher. Un policier lui avait présenté son sexe en lui disant « Suce-le » puis lui avait uriné dessus. Cet arrêt a également marqué un revirement déterminant en ce qu’il a établit une inversion de la charge de la preuve.
L’inversion de la charge de la preuve posée par l’arrêt Selmouni c/ France
Jusqu’à lors, il appartenait au demandeur de prouver qu’il avait subi des violences policières. En pratique, cette preuve s’avérait bien évidemment impossible, eu égard à la règle d’or entourant le secret de ce qu’il advient dans les locaux de police.
La Cour a inversé cette charge de la preuve en posant qu’il incombait dorénavant à l’Etat de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures d’un individu lorsque ce dernier ressortait des locaux de police en moins bonne santé que lorsqu’il y était entré. Sans cette preuve, il sera considéré que les blessures sont imputables à des brutalités policières.
C’est en faisant une application stricte de ce principe que la France a de nouveau été condamnée en 2004, pour traitement inhumain et dégradant, dans une affaire où un mineur placé en garde-à-vue avait reçu un coup de genoux dans les parties génitales de la part d’un policier, lequel lui avait provoqué un traumatisme testiculaire (CEDH, Riva c/ France, 1er avril 2004, N° 59584/00 – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 59584/00″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-66247 »]}) .
En 2013, la France était condamnée pour des blessures commises par des gendarmes au cours d’une arrestation. Refusant de sortir de son véhicule, l’individu avait été extrait de force, plaqué et maintenu au sol. Il lui avait été pratiqué une clef de bras et plusieurs coups lui avaient été portés sur son bras avec un bâton télescopique (CEDH, Douet c/ France, 3 oct. 2013, N° 16705/10 – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 16705/10″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-126548 »]} ).
Des violences policières toujours d’actualité
Il est évidemment insupportable de constater que la France se retrouve à nouveau condamnée par la CEDH sur le fondement de l’article 3.
Elle se retrouve à ce titre aux côtés du mauvais élève russe régulièrement condamné en 2017 (voir CEDH, Maslova c. Russie, 14 février 2017, n° 15980/12 – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 15980/12″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-171441 »]} : arrestation d’un citoyen russe le 19 février 2005, embarqué par les forces de police, brutalisé pendant le transport et décédé quelques heures plus tard ; Bambayev c/ Russie, 7 nov. 2017, n° 19816/09 : sur le tabassage d’un prévenu en prison – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 19816/09″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-178565 »]} ; CEDH Shevtsova c/ Russie, 3 oct. 2017, n° 36620/07 : coups portés lors d’une arrestation – https://hudoc.echr.coe.int/fre#{« fulltext »:[« 36620/07″], »documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-177676 »]} ).
De même, il est navrant (alarmant ?) de constater que nos juridictions nationales ne font manifestement pas preuve de la même rigueur d’analyse s’agissant du double critère de nécessité et proportionnalité de la force employée par les policiers. A croire que la position ferme de la CEDH en la matière ainsi que les multiples condamnations prononcées à l’égard de la France ne sont pas en soi suffisantes.
Au regard des récentes actualités, la tendance ne semble malheureusement pas prête à s’inverser.
En effet, un rapport officiel des inspections générales de l’administration (IGA), de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGGN) rendu public le 23 octobre 2017 estime « plausibles » certains abus des forces de l’ordre à l’encontre des migrants depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 (usage jugé abusif des gaz lacrymogènes notamment – http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/10/24/migrants-a-calais-un-rapport-officiel-reconnait-de-plausibles-abus-chez-les-forces-de-l-ordre_5204994_1654200.html ).
En outre, le 8 janvier 2018, les deux juges d’instruction qui enquêtaient sur la mort de Rémi Fraisse, ce militant écologiste de 21 ans mort le 26 octobre 2014 des suites d’une explosion d’une grenade offensive tirée par un gendarme mobile sur le site du barrage de Sivens, ont rendu une ordonnance de non-lieu, considérant qu’il n’avait été commis aucune faute (http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/01/09/mort-de-remi-fraisse-a-sivens-les-juges-ordonnent-un-non-lieu_5239406_1653578.html ).
Enfin, dernier exemple en date, dans le cadre de l’affaire « Théo » survenue le 2 février 2017, trois des quatre fonctionnaires mis en examen pour violences volontaires en réunion ont été récemment réintégrés dans leurs fonctions. Le quatrième policier mis en examen pour viol reste quant à lui suspendu.